EXTRAIT DE L'OUVRAGE
Il faut d'abord poser en principe que l'art de bien chasser est fort peu commun, et exige un ensemble de qualités très rares à rencontrer chez un chef d'équipage — surtout d'un grand équipage. N'est pas bon maître d'équipage qui veut. Plus le nombre des hommes qu'on doit faire manœuvrer est grand, plus la besogne devient difficile pour mettre tout le monde à sa place de combat et faire rendre à chacun les services qu'il est capable de rendre. Savoir faire chasser des chiens est un talent qui se perd.
Réunir à une grande affabilité, à une parfaite courtoisie, à des façons distinguées et aimables, un caractère ferme et décidé, un coup d'œil prompt en chasse, un grand calme dans les défauts, la connaissance parfaite de la valeur de chacun de ses chiens, le don du commandement sans en faire sentir le poids, une supériorité de connaissances telle qu'elle soit reconnue de tout le monde, ce qui vous donne le prestige du savoir, telles doivent être les premières qualités d'un chef d'équipage soucieux de conserver les anciennes traditions.
Quand le maître d'équipage n'est pas là, il faut que l'équipage tout entier ait la crainte de ne pas bien chasser sans lui.
Un piqueur n'est pas pour le maître un serviteur vulgaire ; il doit être, je dirai presque un ami, un compagnon fidèle de ses joies et de ses peines, honnête homme avant tout, respectueux et dévoué autant à son maître qu'à son art. Mais pour que les hommes restent dans cette note, il faut que le maître ait des formes, une distinction et une manière d'être supérieures à celles de ses piqueurs. La distinction des maîtres se communique aux hommes, cette distinction qui laisse chacun à sa place, sans familiarité déplacée de la part des hommes, sans morgue ni hauteur de la part des maîtres.
La familiarité vis-à-vis des hommes est toujours cause de leur perte ; ils ne savent pas rester dans la note voulue, deviennent avantageux, insupportables, et on est obligé de s'en séparer.
Les bonnes façons des hommes d'un équipage et surtout du premier piqueur, sont un des grands charmes de la vénerie. Il ne faut pas longtemps pour perdre les façons d'un homme, même d'un homme formé à très bonne école. Un séjour de deux ou trois ans dans un équipage mal commandé, et le mal est fait : l'homme s'en ressentira toute sa vie, tout en laissant cependant encore percer les traditions et grandes façons qu'il a reçues, quand il a été formé d'enfance aux grandes manières d'un équipage souverain. Si bas qu'il soit tombé, les façons prises d'enfance à cette école sont les seules qui ne se perdent pas. Les réprimandes du maître doivent se faire en particulier et jamais devant la présence en chasse, excepté dans des cas excessivement graves et qui ne doivent se présenter jamais avec des hommes bien formés et respectueux vis-à-vis des maîtres.
Quand il y avait une école, c'est-à-dire au temps de la vénerie du roi et des princes, tout était appris aux enfants par principes, jusque dans les moindres détails ; ils y entraient après leur première communion et formaient ainsi une pépinière d'hommes à traditions qui se répandaient dans les équipages de petite vénerie. Maintenant ces écoles nous manquent ; aussi que reste-t-il en fait d'hommes de vénerie ? des traîne-chiens, mais non des piqueurs.
La dernière école a été la vénerie de l'empereur . Ce qui reste d'hommes d'équipage ayant un peu de traditions, sort de cette dernière vénerie souveraine. Ceux qui ont connu et suivi ces grands équipages reconnaissent à un rien ceux qui ont été formés à cette école ; parce que là seulement, tel geste, telle manière, je dirai même tel son de voix particulier, étaient en usage.
La vénerie n'est pas un art de fantaisie : pour tout il y a des règles qu'il est choquant de ne pas observer. De même qu'il y a une langue de vénerie, de même il y a une façon de s'habiller qui ne doit pas être de fantaisie. Pour prendre sa trompe, pour la remettre sur son épaule, pour prendre la pose voulue pour sonner un bien aller, pour dépouiller un cerf à la curée, pour tout en un mot il y a des règles dont on ne doit pas s'écarter. Pour sonner, l'homme à pied ou à cheval doit pencher le haut du corps légèrement en avant, la main basse ainsi que le bras et le coude, l'ouverture du pavillon de la trompe un peu en l'air. La tradition est à suivre en toute chose ; ce qu'il y a de plus pratique et de plus distingué, c'est de tâcher de l'apprendre et de s'y conformer. Un homme d'équipage ne doit jamais non plus faire sortir l'eau par l'embouchure de sa trompe, mais faire tourner celle-ci dans sa main pour faire sortir l'eau par le pavillon, le contraire est commun.
Les grandes et belles façons des hommes ont toujours été en dégringolant, suivant ainsi la décadence de celles des maîtres ; de nos jours, elles n'existent pour ainsi dire plus dans nos équipages particuliers.
BIOGRAPHIES DE L'AUTEUR ET DE L'ILLUSTRATEUR
Marie Charles Henry Le Sellier de Chezelles (1832-1900) fut, avec ses frères Roger et Arthur, l'un des maîtres du célèbre équipage Picard piqu'hardi. Ancien officier au régiment de guides de la garde impériale, il put recueillir auprès de ses compagnons d'armes, des boutons de son prestigieux équipage et des amis de sa famille nombre d'anecdotes de l'ancien temps. Sans avoir connu directement la vénerie royale ou celles des princes, il eut souvent l'occasion de converser avec des veneurs plus âgés qui lui firent part de leurs souvenirs. Il put en revanche suivre les chasses de la vénerie impériale qui se maintint jusqu'en 1870.
Cet ouvrage, qui ne connut qu'une seule édition, chez Hachette en 1894, forme ainsi le conservatoire de la tradition de l'ancien régime qui disparue avec l'avènement de la monarchie de Juillet et le décès du duc de Bourbon, même si les Orléans maintinrent une vénerie fastueuse mais teintée de sang et d'usages anglais.
Le vicomte Henry de Chezelles habitait à la fin du XIXe siècle — avec sa femme, Marguerite Merlin d'Estreux de Maingoval — le château de Glaignes, près de Crépy-en-Valois (Oise) et c'est là qu'il avait écrit son précédent ouvrage, L'homme de cheval, soldat ou veneur.
Née en 1963 de parents peintres, Catherine Farvacques suit tout naturellement leur voie. Après des études aux Arts décoratifs à Paris et un passage à l'École du Louvre, elle troque définitivement sa caméra pour les pinceaux en 1990, date de son arrivée en Bretagne où elle suit ses premières chasses à courre. Depuis elle partage son temps entre la vénerie, la chasse à tir, les voyages, ses chevaux et son atelier où prennent forme toiles, sculptures, dessins et gravures.