Rarissime album de 14 estampes du prince Ferdinand d'Orléans (1810-1842), fils aîné du roi Louis-Philippe et héritier de la couronne, mort accidentellement près de la porte Maillot à Paris.
Les membres de la maison d'Orléans ont souvent brillé par leurs talents artistiques. Sous la Restauration, Louis-Philippe souhaite cultiver cette fibre chez ses enfants et, sur la recommandation du baron Gérard, confie dès 1822 ses aînés, Ferdinand, Louise et Marie, à Ary Scheffer auprès de qui le prince développe un vrai talent. Jeune artiste romantique, républicain mais chrétien, cultivé et rigoureux, ami de Delacroix et de Géricault, Scheffer (1795-1858) correspondait à la fois aux idées éducatrices du duc d'Orléans et à son souhait de s'attacher les milieux artistiques et culturels libéraux. Il devint rapidement un ami de la famille, servira d'estafette à Louis-Philippe durant la révolution de Juillet et restera le professeur de dessin et de sculpture de la princesse Marie, la plus talentueuse de la fratrie.
Les compositions du jeune prince « étaient en général bien entendues et spirituelles. Son dessin était net et facile et il finit par acquérir un faire très artiste » écrira sa sœur, la reine des Belges, dans ses mémoires. En octobre 1822, il dessine des têtes de personnages que lui réclament ses sœurs et des marines comme celles que l'on trouve dans cet album. À cette même époque il indique dans une lettre à sa mère avoir dessiné un grenadier relevant son camarade, scène que l'on retrouve aussi sur ses lithographies.
« Les leçons de Newton Fielding, associées à celles de Scheffer pendant quelques mois de 1828, lui donnèrent le goût de croquer les animaux » (Hervé Robert). Fielding (1799-1859), peintre et graveur anglais, se spécialise très tôt dans la représentation de la faune, du gibier et de paysages. Installé à Paris avec son frère Thales, également peintre, il fait lui aussi partie des amis de Delacroix, qui fit son portrait, et expose au salon de 1827. On lui doit notamment deux albums, Animaux de chasse... et Chiens de chasse publiés l'un et l'autre à Paris en 1828.
C'est sous sa direction que le jeune prince s'essaye à la gravure au second semestre de 1828. Il donne notamment à l'aquatinte le portrait d'un terre-neuve (pl. 7) que Fielding représentera concomitamment, en action de chasse, dans son album sur les chiens. « On sait que le prince dessinait de la façon la plus spirituelle et la plus distinguée, qu'il gravait même à l'eau-forte ; et j'ai encore des dessins et des gravures de lui. Il était élève de Fielding, et faisait les animaux avec un grand chic. » (Alexandre Dumas. Mes mémoires).
L'album rassemble des pièces tirées en planches séparées entre avril et novembre 1828 et des lithographies exécutées dans les premiers mois de 1830. Une large partie sont des sujets animaliers et cynégétiques : chiens, cerf, lapin, renard, canard, oiseaux, etc.
La dernière planche, sans doute la seule exécutée après la révolution de Juillet, est le célèbre Gulliver endormi, dont Dumas conte l'histoire dans ses mémoires : « Un jour, il lui [le duc d'Orléans] passa par l'esprit une idée de caricature ; elle lui avait été inspirée par les chicanes journalières que la Chambre faisait à son père : c'était de dessiner le roi en Gulliver, et les députés en Lilliputiens.
« Le roi était couché tout de son long, lié et garrotté, avec toute la peuplade lilliputienne autour de lui, et profitant de son immobilité forcée pour le fouiller et le visiter.
« Une foule d'épisodes, plus comiques les uns que les autres, ressortaient de cette idée première.
« M. Jacques Lefebvre, le banquier, roulait une pièce de cinq francs à l'effigie du roi Louis-Philippe, avec les mêmes efforts qu'un charron roule une roue. M. Humann, ministre des finances -autant que je puis me le rappeler- à cette époque [il ne le sera en réalité qu'en 1832], et, par conséquent, grand maître des contributions indirectes, était plongé jusqu'aux genoux dans la poudre si fort appréciée par Sganarelle, et éternuait à se faire sauter le crâne. M. Ganneron, qui avait fait sa fortune dans les suifs s'avançait, une chandelle à la main, vers le pont entrebâillé de la culotte de Gulliver, moins brave que le comte Max Edmond des Burgraves, et ne sachant pas s'il devait se hasarder dans la nuit de la caverne. M. Thiers et M. Guizot, qui se disputaient déjà le pouvoir, avaient chacun tendu une corde allant du bout de chaque gousset de la veste du roi, et ils s'avançaient, ayant chacun un balancier à la main, vers ces deux goussets royaux, qui portaient, l'un, le titre de ministère de l'intérieur, et l'autre, celui de ministère des affaires étrangères ; le balancier de M. Thiers était intitulé : Libéralisme ; le balancier de M. Guizot était intitulé : Réaction. M. Molé et M. Dupin jouaient à la bascule.
« Tous ces Lilliputiens étaient aussi ressemblants que possible. Nous ne parlons pas du roi, qui, ayant huit ou dix pouces de long, était, lui, d'une ressemblance parfaite.
« Mais voici le plus curieux de l'histoire.
« Le duc d'Orléans faisait tirer ses pierres à la lithographie de Motte, le beau-père de notre cher ami Achille Devéria. On avait oublié de dire que cette lithographie, n'étant point destinée au commerce, n'avait pas besoin d'être déposée : le chef d'atelier fit la chose en conscience, et envoya une épreuve au ministère de l'intérieur ; elle était signée : F. O., signature habituelle du duc, Ferdinand d'Orléans.
« Il va sans dire que la lithographie, non seulement ne fut pas autorisée, mais encore fut portée au roi.
« Le roi reconnut la signature de son fils ! On comprend la chasse paternelle que reçut Son Altesse royale. Amende honorable fut faite : le lithographe gratta la tête, et, au lieu de la tête du chef de l'État, mit la première tête venue.
« En 1834, M. le duc d'Orléans me donna deux exemplaires de cette caricature, une avant la tête, l'autre après la tête ; j'ai eu la sottise de me les laisser prendre tous deux. Du reste, M. le duc d'Orléans vivant, je n'avais qu'à lui en redemander d'autres et je n'y attachai point alors le prix qu'ils méritaient. »
Les planches sont regroupées sous une élégante et sobre couverture lithographiée sur papier fin bleu portant uniquement le titre, le nom du prince et la date.
L'ensemble fut tiré à tout petit nombre et les très rares exemplaires complets ne comportent pas les mêmes planches puisque les gravures de la première partie furent recueillies deux ans après leur tirage. Les lithographies sont tirées à Paris par Charles Motte (1785-1836), artisan de talent, orléaniste, qui était depuis 1824 lithographe de monseigneur le duc d'Orléans”, le père de l'auteur.
Détail :
1. Deux jeunes enfants sur un chien. Eau-forte (?) sur chine gris monté (21,7 x 17,2 cm ; cuvette : 23,5 x 18 cm) signée F O. 9bre 1828, tirée sur papier fort (32,9 x 25,8 cm) et collée sur le premier feuillet de l'album (non mentionnée par Béraldi).
2. Daim reposant au bord de l'eau. Filets en encadrement. Aquatinte en couleurs (16,3 x 10,6 cm ; cuvette : 26,3 x 20,5 cm) signée Gravé par F. P. d'Orléans, tirée sur papier fort (32,2 x 25,9 cm) et collée sur le second feuillet de l'album (Béraldi 5).
3. Anons. Deux têtes. Eau-forte sur chine monté (15,3 x 10,9 cm ; cuvette : 16 x 11,4 cm) signée F. P. d'Orléans ext 7 1828, tirée sur papier fort (32,8 x 25,9 cm) et collée sur le troisième feuillet de l'album (Béraldi 3).
4. Foolish. Tête de chien noir dans un paysage. Filets en encadrement. Aquatinte sur chine monté (7,7 x 8,8 cm ; cuvette : 14,6 x 18,5 cm), tirée sur papier fort (26,6 x 25,8 cm) et collée sur le quatrième feuillet de l'album (Béraldi 6).
5. Deux lapins jouant à l'entrée de leur terrier. Filets en encadrement. Aquatinte sur chine monté (13,6 x 9,6 cm ; cuvette : 22,4 x 16,5 cm) signée F. P. O Juin 1828, tirée sur papier fort (32,7 x 25,8 cm) et collée sur le cinquième feuillet de l'album (Béraldi 1).
6. Singe assis encadré de plantes. Eau-forte sur chine monté (16 x 21,8 cm ; cuvette : 17 x 22,4 cm) signée Dessiné & gravé par F P O. Juillet 1828, tirée sur papier fort (26,7 x 25,5 cm) et collée sur le sixième feuillet de l'album (Béraldi 3).
7. Chien de Terre-Neuve courant devant une haie. Filets en encadrement. Aquatinte sur chine gris monté (16,6 x 11,8 cm ; cuvette : 24,4 x 19,2 cm) signée F. P. O. dans l'illustration et Gravé à l'Aquatinta par F. P. d'Orléans dans l'encadrement, tirée sur papier fort (32,8 x 25,8 cm) et collée sur le septième feuillet de l'album (non mentionnée par Béraldi).
8. Feuille de 8 croquis : tête de chien, cols-verts, cerf et biche dans un parc, épervier, barques sur la plage, marine et deux petites scènes humoristiques. Lithographie tirée sur chine gris perle monté (35 x 30), signée F d'Orléans Jer 1830 (Béraldi 10).
9. Feuille de 9 croquis : grue couronnée, serpent, marines, hussard, cauchoise, etc. Lithographie tirée sur chine gris perle monté (35 x 28,8), signée F d'Orléans Jer 1830 (Béraldi 9).
10. Marine.- Renard avec un oiseau dans la gueule au bord d'un marais. Deux lithographies tirées sur chine gris perle monté (23 x 18,5), la seconde signée F d'Orléans 1830 (Béraldi 7 & 8).
11. Feuille de 9 croquis : col-vert, tête de renard, bécasses au bord de l'eau, têtes de coqs, bateau de pêche, paysage d'Égypte, etc. Lithographie tirée sur chine gris perle monté (38,8 x 28,8), signée F d'Orléans Jer 1830 (Béraldi 11).
12. 4 vues de Staffa... Lithographie tirée sur chine gris perle monté (39 x 28,5), signée F. O. (Béraldi 9).
13. Gulliver endormi. Allégorie humoristique des rapports conflictuels entre le roi Louis-Philippe (sous les traits de Gulliver) et les députés (représentés en Lilliputiens). Lithographie tirée sur chine gris perle monté (39 x 28,8), signée F d'Orléans. Jer 1830. (Béraldi 12).
Album de toute rareté qui semble absent de toutes les bibliothèques publiques françaises et étrangères. Il ne fut sans doute réalisé que pour les familiers du prince. Le seul autre exemplaire complet connu est d'ailleurs celui que possédait l'arrière-petit-fils de l'auteur, le comte de Paris (1908-1999), qui fut vendu par Sotheby's à Paris en 2015 (avec vraisemblablement une aquatinte et une lithographie différentes de celles de cet exemplaire). Le troisième exemplaire répertorié, celui de la bibliothèque cynégétique de Jean Berger (Christie's Monaco, 2 juillet 1993 ; n° 125), ne comportait que 12 planches.
Très bel exemplaire en parfait état dans une sobre reliure romantique strictement contemporaine (dos finement refait à l'imitation par l'atelier Boichot à Paris). Quelques piqûres marginales aux dernières planches. Oxydation marginale des gardes.
Henri Béraldi. Les graveurs du XIXe siècle ; pp. 234-236, qui note que « l'œuvre [du duc d'Orléans] est le plus développé » parmi les princes-graveurs français du XIXe siècle, ne cite que 13 pièces (dont 12 sont dans cet exemplaire) et ne connaît pas l'album lui-même.
Hervé Robert. « [Le duc d'Orléans,] mécène et collectionneur » dans Le mécénat du duc d'Orléans 1830-1842. Paris, DAAVP, 1993 ; pp. 36-45. Avec la reproduction de 12 estampes de l'album vraisemblablement d'après l'exemplaire du comte de Paris.
Leo Ewals. «Marie d'Orléans et son professeur de dessin Ary Scheffer» dans Marie d'Orléans 1813-1839 princesse et artiste romantique. Paris, Somogy, 2008 ; pp. 64-77.
Inconnu de toutes les bibliographies cynégétiques.
Manquait à Schwerdt et aux grandes collections cynégétiques.
Paris, 1830. in-4 oblong, 51 x 34 cm, [13] feuillets., reliure de l'époque en chagrin aubergine, large décor à froid en encadrement sur les plats, dos orné de faux nerfs à froid, roulette dorée aux coupes, roulette intérieure dorée, tranches dorées, gardes de papier moiré blanc, couverture conservée.